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No other Land

L’Oscar du meilleur long métrage documentaire, a été attribué, dimanche soir (2/3/25), à l’œuvre de quatre activistes, journalistes et réalisateurs, deux palestiniens, Basel Adra et Hamdan Ballal, et deux israéliens, Rachel Szor et Yuval Abraham .  « No Other Land », dénonce les démolitions de maisons palestiniennes en Cisjordanie par Israël  et appelle le monde à œuvrer pour mettre fin au nettoyage ethnique des Palestiniens, libérer les derniers otages israéliens détenus à Gaza depuis le 7 Octobre 2023 et emprunter la  voie d’une juste solution du conflit israélo palestinien. Dans son allocution, Yuval Abraham a dénoncé la politique étrangère américaine qui constitue un obstacle sur cette voie et s’adressant à Basel il dit «  Nos sorts sont  liés, mon peuple ne peut être vraiment en sécurité que si le tien est vraiment libre et en sécurité ».

Selon Haaretz (3/3/25), le ministre israélien de la Culture, Miki Zohar, a qualifié la cérémonie de « moment triste », affirmant que le film manipule et déforme l’image d’Israël auprès du public international. Et « The Guardian » (9/3/25) rapporte que la ministre allemande de la culture qui avait salué ce film lors de son succès au festival de Berlin, l’année dernière, a dû faire marche arrière devant les accusations d’antisémitisme portées contre le film en Israël. Elle le fit honteusement en prétendant avoir salué Abraham l’israélien et non Adra le palestinien (comme le dit si bien notre adage populaire; l’excuse est pire que la faute).

Le NYT (3/2/25), de son côté, écrit :  « La sélection de « No Other Land », constitue  un tournant [C’est la première fois que Hollywood consacre une œuvre pro palestinienne, NDLR] mais aussi une condamnation. [car] Malgré une série de distinctions et de critiques élogieuses, aucun distributeur n’a accepté de distribuer ce film aux États-Unis. …Le conflit israélo-palestinien est particulièrement présent à Hollywood. L’année dernière, le producteur Ari Emanuel, qui est juif,  a été hué pour avoir critiqué Netanyahu, lors de la cérémonie de remise d’un prix décerné, [pourtant], par un important groupe juif de Los Angeles. »

Ce « tournant » n’est pas sans en rappeler un autre intervenu un an plus tôt suite à la victoire du film « la Zone d’Intérêt » qui avait obtenu la Palme d’or au festival de Cannes  en 2023 et la controverse née du discours de son  réalisateur (juif britannique) Jonathan  Glazer lors de la remise des Oscars (pour le meilleur film étranger) le 10 mars 2024. Ce film sur l’holocauste invisibilise l’holocauste pour mettre en avant la banalité du mal et la déshumanisation qui en résulte. Un film littéralement génial, malheureusement non distribué au Maroc.

Lors de son discours d’acceptation des Oscars, Glazer, faisant une allusion directe aux massacres de Gaza,  a déclaré :« Tous nos choix ont été faits pour réfléchir et nous confronter au présent, pas pour dire : « Regardez ce qu’ils [les Nazis] Nous [les Juifs] ont  fait plutôt ce que nous faisons maintenant… Notre film montre où la déshumanisation mène à son paroxysme. …En ce moment, nous sommes ici en tant qu’hommes qui réfutent leur judéité et le détournement de l’Holocauste par une occupation qui a conduit à un conflit pour tant de personnes innocentes », (the Hollywood reporter 18/3/24). Il va sans dire que ces remarques avaient soulevé l’indignation de nombreux agents  influents dans la communauté cinématographique hollywoodienne

L’intérêt du cinéma israélien pour les guerres menées par Israël en Palestine et au Liban n’est pas une nouveauté. Lors des massacres de Sabra et Chatila (16-18 septembre 1982) perpétrées par les  Phalanges Libanaises, Ariel Sharon – alors commandant les forces israéliennes présentes à Beyrouth – avaient autorisé une unité spéciale de ses troupes à illuminer la scène des massacres au moyen de fusées éclairantes pour permettre aux phalangistes d’opérer de nuit. En 2008, Ariel Folmam, écrivain/réalisateur israélien qui a combattu pendant la guerre israélo-libanaise de 1982, en a fait un film animé « Waltz with Bashir » dans lequel il tente de reconstituer des fragments de ses souvenirs refoulés en interviewant ceux qui se sont battus à ses côtés.

Je n’ai jamais eu l’occasion de regarder ce film, et je ne peux en parler qu’a travers ceux qui l’ont vu : Rachid Khalidi (historien palestino américain qui a vécu à Beyrouth le siège de cette ville en 1982) en parle dans son livre (The One Hundred Years’war on Palestine). Selon lui, la morale de ce conte animé (Waltz With Bashir) est que si le crime comporte plusieurs cercles de responsabilité, tous ont le même centre ; Israël est aussi responsable que les Phalanges des massacres de Sabra et Chatila.

Apparemment tel n’était pas le dessein du réalisateur israélien. Gideon Lévy, chroniqueur israélien très connu, écrit dans Haaretz du 19/2/2009 : « Ce film est exaspérant, dérangeant, scandaleux et trompeur. Il mérite un Oscar pour ses illustrations et son animation, mais une honte pour son message. Ce n’est pas un hasard si Folman n’a même pas mentionné la guerre à Gaza, qui faisait rage au moment où il a reçu le prestigieux prix [Opération plomb durci, 1200 morts en 3 semaines]. Les images qui sortaient de Gaza ce jour-là ressemblaient remarquablement à celles du film de Folman. Mais il est resté silencieux. Avant de chanter les louanges de Folman, qui seront bien sûr des louanges pour nous tous, nous ferions bien de nous rappeler qu’il ne s’agit pas d’un film contre la guerre, ni même d’une œuvre critique sur Israël en tant qu’état militariste et occupant. C’est un acte de fraude et de tromperie, destiné à nous permettre de nous féliciter nous-mêmes, de nous dire, ainsi qu’au monde, à quel point nous sommes adorables. »

Pour revenir à « No Other Land », les critiques pro israéliens le condamnent,  de façon quasi unanime,  pour « antisémitisme ». Les palestiniens, ne ménagent pas leurs critiques, non plus. « Ils soutiennent que les voix et les récits palestiniens ne méritent d’être exposés que s’ils sont soutenus ou approuvés par des personnalités israéliennes et que sans le co-créateur israélien, le film n’aurait pas reçu la même attention de la part de l’académie.  Sans parler de l’attribution de l’Oscar. Ils souhaitent également que ces collaborations entre Israéliens et palestiniens soient entièrement « pures », c’est-à-dire qu’elles n’accordent aucune légitimité au collaborateur israélien et que son travail ne soit pas présenté dans des cadres sionistes ou considérés comme faisant partie du jeu sioniste. Hollywood, par exemple » (Haaretz)

Certaines voix palestiniennes ont rejeté No Other Land comme de la propagande israélienne et Abraham comme un « sioniste libéral » qui  » surfe sur la vague des souffrances palestiniennes pour se faire un nom et de l’argent ».  Même le mouvement BDS – qui fait campagne pour le boycott des biens et de la culture israéliens – a appelé à éviter  le film au nom de la « non pureté » d’Abraham dans sa condamnation d’Israël.

Certains critiques  (palestiniens et Israéliens) s’interrogent sur l’impact des films et des discours des réalisateurs (lors des cérémonies publiques) qui dénoncent l’occupation, sur la politique des dirigeants. Aucune malheureusement. Tout au plus, les plus optimistes se consolent-ils en disant qu’il ne saurait y avoir de paix sans coopération.

Est-ce à dire que ces films ne servent à rien. Apparemment non, à en juger par les réactions des ministres israélien et allemand de la culture rapportées ci-dessus.

https://www.mohammedchraibi.com/

Mohammed Chraibi, ingénieur du Genie Rural et des Eaux et Forêts. Après quelques années passées au Ministère de l’agriculture et à l’Office Cherifien des Phosphates, il a été consultant pour diverses agences de coopération technique relevant de l’ONU.

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