Menu
Edit Template

Retour sur le Concept de Politicide

J’aimerais revenir ici sur le concept de politicide  (ou policide) objet de mon blog du 17 février dernier, qui ne semble pas avoir soulevé l’intérêt des lecteurs (en admettant qu’il en eut).

Les massacres de masse commis par Israël en 1948, tels celui de Deir Yassine et Tantura, visaient clairement à pousser les palestiniens à s’enfuir pour permettre l’établissement de colons israéliens sur leurs terres.  Les bombardements de l’aviation et de l’artillerie israéliennes de 2004, 2006, 2009, 2012 et 2014 qui tuaient à l’aveuglette, visaient à punir les Ghazaouis pour les actions militaires de la Résistance, notamment les tirs de roquettes sur Israël a partir de Gaza,  et les attentats de la seconde Intifada entre 2000 et 2005. Les bombardements de Gaza, qui tuent sans distinction  femmes, enfants et vieillards et détruisent leurs maisons et leurs infrastructures éducatives,  sanitaires, économiques, politiques etc…depuis octobre 2023, s’expliquent par le désir de vengeance aveugle qui s’est emparé d’Israël suite à l’attaque (d’une violence inouïe) du 7 octobre, contre leur forteresse qu’ils croyaient inviolable. D’où le sentiment d’ humiliation qui a exacerbé la soif de vengeance et causé les destructions de vies et de biens et les déclarations à caractère génocidaire de certains dirigeants israéliens qui ont conduit la Cour Internationale de Justices  et la Cour Pénale Internationale à mettre en garde Israël contre les dérives génocidaires de ses actions et à inculper deux de ses dirigeants pour crimes contre l’humanité. La réaction excessive, passionnelle  d’Israël  justifie les accusations de génocide contre ce pays, elles mêmes non dépourvues de passion.

A mon avis,  les meurtres commis de sang froid par les services israéliens contre des palestiniens, donnent une idée moins passionnée des motivations israéliennes. Les assassinats ciblés de Palestiniens ont visé les dirigeants de la Résistance et des intellectuels. Pour les premiers, je pense notamment au Chieikh Yassine, fondateur  du Hamas, vieillard  quadriplégique, toujours vêtu de blanc, fauché à l’aube par un missile israélien au sortir de la mosquée, en 2004. Son successeur , Rantissi, subit le même sort un mois plus tard. Et tant d’autres, avant et après eux,  trop nombreux pour être cités.  Tous exécutés, non pour des motifs ethniques ou religieux mais parce que porteurs d’une idéologie dangereuse pour Israël.

Pour les seconds, je pense à Ghassan Kanafani, écrivain et critique littéraire (membre du FPLP) assassiné à Beyrouth en 1972 par le Mossad. Je pense aussi au poète palestinien Kamal Nasser tué a Beyrouth l’année suivante aux côtés des dirigeants du Fatah Kamal Adwan et Abu Yussuf Ennajjar. Je pense également à Naji Al Ali,  caricaturiste palestinien assassiné à Londres en 1987, probablement par le Mossad. Sans oublier Kamal Boullata, peintre et historien de l’art palestinien  de renommée internationale, mort a Berlin en 2019 dans des circonstances suspectes. Tous ces meurtres prémédités visaient, bien entendu,  l’éradication de la Résistance palestinienne dans ses composantes politique, militaire et culturelle et non des individus pour leur appartenance à un groupe ethnique. C’est différent des meurtres  de masse perpétrés à l’égard des Juifs, des Arméniens, des Tutsis etc…Au point de se demander s’il n’y a pas plus de haine raciale dans les massacres de Sabra et Chatila commis par les phalanges chrétiennes libanaises que dans les massacres de palestiniens commis par Israël.

Je ne cherche pas a disculper Israël du crime de génocide alors que la plupart des Etats, des Organisations non Gouvernementales et des institutions internationales l’en accusent ouvertement depuis 2024. Mon idée est que les crimes commis par Israël en Palestine depuis 1948 ont des particularités propres qui les distinguent, non seulement de l’archétype du genre (l’Holocauste pour ne pas le citer), mais de tous les autres génocides.  Il faut, par exemple, garder à l’esprit que les assassinats de leaders palestiniens ont aussi été commis par des palestiniens appartenant à des factions rivales, notamment le groupe Abu Nidal (voir celui-ci dans la partie « chronologie » du livre). De même, des fida’yines palestiniens ont été tués par des soldats arabes lorsqu’ils tentaient de pénétrer en Israël pour y commettre des attentas à partir de leurs territoires, par crainte des représailles israéliennes. Pire des Palestiniens ont été tués en masse par les troupes arabes en Jordanie en 1970,  et au Liban, au mains  des  troupes syriennes,  en 1976.

Cet aspect n’a pas échappé à Rachid  Khalidi quant il écrit : « Toutefois, ils [Les régimes arabes] étaient motivés par les froids calculs de raison d’état. Ils ne voulaient pas détruire l’OLP ni étouffer la cause palestinienne. Contrairement à Israël dont la politique de liquidation des leaders palestiniens, héritée du mouvement sioniste de la fin du mandat britannique, visait à éliminer la réalité palestinienne, démographiquement, idéologiquement et politiquement…  Les assassinats [de leaders palestiniens] étaient un élément central dans l’ambition d’Israël de transformer tout le territoire, de la Mer à la Rivière, d’un pays arabe en un état juif. Pour utiliser le terme de Baruch Kimmerling, c’est un cas de POLITICIDE, dans son sens le plus littéral » (The hundred’s years war on Palestine, p. 127).

J’aimerais clore cette réflexion sur une note légère extraite d’une bande dessinée récemment publiée (Never again, de Joe Sacco & Art Spieglman). Dans une scène, l’un des deux personnages de cette bande dessinée, est debout et l’autre assis à sa table de dessin. Le premier, parlant des massacres de Gaza dit a l’autre: «  tu appellerais ça génocide toi? » Et l’autre répond: « oui genre de… (genocidish), je disais aussi nettoyage ethnique, et depuis que je suis allé à Gaza, j’ai mis mon vocabulaire à niveau (upgrade) ».

M.C. 24/02/25

https://www.mohammedchraibi.com/

Mohammed Chraibi, ingénieur du Genie Rural et des Eaux et Forêts. Après quelques années passées au Ministère de l’agriculture et à l’Office Cherifien des Phosphates, il a été consultant pour diverses agences de coopération technique relevant de l’ONU.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Close